kiara (célébrant le départ de l'occupant devant son verre de rouge hier soir à la maison): Non mais tu te rends compte, il a fallu que je finisse mon assiette à chaque repas ! C'est quand même pathétique, j'ai 28 ans et mon père me fait finir mon assiette !
Mitch: Euh, non Eve, ce qui est pathétique c'est qu'à 28 ans tu ne l'aies pas envoyé se faire foutre, tu sais...
Je suis "sortie de prison" il y a exactement 11 ans. C'était en juin. 2 valises dans le TGV pour Grenoble, et la fin de la terreur. Et au lieu d'en vouloir à ma mère de m'avoir laissée dans cette galère pendant toutes ces années, je devrais plutôt lui être infiniment reconnaissante de m'avoir ouvert ses portes ce jour là. Même si la confrontation avec la liberté n'a pas été simple, surtout pour la petite chose bornée, frustrée et déséquilibrée que j'étais alors.
Il n'empêche, plus de 10 ans plus tard, je n'ai rien oublié, le bruit de la clef dans la serrure de la porte d'entrée continue à m'angoisser, le pli sec de la bouche de mon père m'effraie, et la vision de sa ceinture négligemment déposée sur mon lit avant-hier soir m'a fait frissonner. Pour rien. Comme si ça pouvait encore "chier des bulles" de nos jours. Comme s'il avait encore un quelconque pouvoir. Comme si on pouvait remonter le temps. Comme si j'étais encore dans ma chambre à Paris, avec le dessus de lit blanc, les doubles-rideaux jaunes, et mon père qui gueule dans la cuisine en découvrant des miettes derrière le four, comme chaque samedi matin.
Ce qui est pathétique, c'est qu'à 28 ans je n'ai pas encore compris que le seul pouvoir qu'on puisse avoir sur moi c'est celui que je permets qu'on ait. Et que je continue encore à laisser mon père me faire pleurer.
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