Il y a quand même des jours pourris hein, faut pas croire, parce que juste quand je m'amuse trop, je dois certainement trouver le moyen inconscient de me punir, comme si l'humeur légère et le sourire resplendissant ça ne pouvait pas être moi. Beurre ou confiture, jamais les deux, sinon c'est trop de plaisir. Je devrais me convertir à la Church of England finalement... même si... enfin non.
Cette façon super con de se sentir exclue, pas à sa place, déplacée, mal à l'aise, c'est débile.
Prenons hier soir par exemple, au hasard. Hier soir donc. Fatiguée. Le labo est de sortie au pub, pour l'anniversaire du technicien. 23 ans, né en 1982. On rigole, enfin j'essaie entre 2 baillements, ils boivent de la bière, moi de l'irn-bru. Besoin d'encore plus de caféine pour ne pas m'écrouler sur les sièges en osier du bistro. Et puis l'autre post-doc, en père responsable, s'en va, les jumeaux à mettre au lit. Les amis du jeunot nous rejoignent. Et tout à coup la réalité me frappe.
Je me sens fatiguée, je suis de 4 ans l'ainée du plus vieux à table, ils parlent tous thèse et rédaction, et anglais.
Parce que j'ai beau avoir vécu bientot 3 ans ici, l'anglais "de groupe", ça sonne encore un peu chinois.
Parce que mes années de thèse sont finies, et que si je peux encore compatir à l'angoisse du thésard, je ne peux plus partager. Moi c'est docteur.
Parce que je suis la petite de la famille, la fille qui a un an d'avance, la gamine qui a passé son bac a 16 ans, la chieuse qui essaie de suivre les grands, pas l'ancienne, je sais pas faire, je n'aime pas faire, le role ne me convient pas.
Parce que j'ai juste envie d'aller me coucher.
Mais le jeunot insiste, Eve please come to the restaurant, come-on it's my birthday !, et puisque j'aime bien quand on m'aime bien comme ça, alors me voici entrain de me réveiller doucement dans l'atmosphère feutrée du chinois d'à coté. Ca continue à parler rédaction, prêt étudiant, trucs de djeun's british. Et je continue à manger mon calamar en silence.
J'ai toujours envie d'aller me coucher.
Je ne suis toujours pas à ma place.
Et tout à coup, me voilà entrain de rire nerveusement, après l'aterrissage brutal d'un verre de rouge sur ma jupe blanche, qui ne le sera donc jamais plus. Quelle idée aussi de mettre une jupe une fois par an, et justement le jour où c'est officiel, tu es une looser ma fille, et tu sembles bien le chercher, quand même.
Sur le chemin du retour, alors que les djeun's se dirigeaient eux vers la suite des festivités, et que je boitais dans mes sandales en essayant d'ignorer la vieille odeur de vin qui m'entourait, les bras chargés des restes du gateau d'anniversaire du jeunot, cuisiné avec amour la veille au soir alors que je m'endormais déjà devant le four, l'oeil terne, la cerne hyperdéveloppée, et les cheveux trop lourds à porter, j'ai essayé de ne pas pleurer. Pour m'éviter un spectacle encore plus sinistre. Et surtout parce que je sais que quelque part, il existe un endroit où je me sens parfaitement à ma place. Je devrais juste éviter de le quitter pour aller au pub. Je suis quand même vachement mieux au labo.
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