Je vis dans un microcosme ridiculement minuscule où les moments de panique ou de joie intenses ne peuvent être partagés que par quelques personnes, pas plus nombreuses que les doigts d'une main. Cette poignée seule sait tout. Journées noires de fatigue, euphorie de la manip enfin réussie, coups de pieds dans les portes des placards, schémas farfelus sur le tableau blanc, idées, doutes, résultats préliminaires, comment cacher la poussière sous le tapis, tout ça se passe entre nos murs, derrière la porte du labo.
A partir du couloir, un territoire ami mais étranger, d'autres labos, d'autres soucis, d'autres réussites, pas les notres. Les échanges se réduisent à des séminaires vitrines de temps à autres, et tu pourrais me donner un peu de plasmide pTRUC ? tu veux de l'anticorps anti-machin ? j'peux emprunter votre microscope ? Une société de troc, voilà ce qu'est notre bel institut.
A partir du bout de la rue, fin du campus, retour en zone civile, notre langage n'a déjà plus aucun sens, et notre emploi du temps quotidien est un mystère pour l'immense majorité de la population, pour qui "chercheur" signifie certainement "magicien", voire "glandeur", rarement "jardinier", alors que je me retrouve les mains dans la terre si souvent...
Alors c'est sur, quand un jeudi soir je suis en pleine panique, parce que depuis le milieu de l'après-midi, la possibilité d'une grosse catastrophe dans mon projet m'est apparue très clairement, j'ai comme l'impression que finalement, personne ne me comprendra jamais...
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